12 – Voyage sur le Styx

Aujourd’hui, je suis morte. Ou peut-être l’année dernière, je ne sais pas.

Ou bien le suis-je vraiment ? Ça ne ressemble pas à l’idée que je me faisais de l’Autre Monde. Mais bon, c’est pas comme si les théologiens ou les dieux nous en parlaient souvent.

Tout ce que je vois, c’est le noir. Pas un noir de nuit, ou celui qu’on voit quand on ferme le yeux le soir avant de s’endormir, non. Un noir absolu. Plus que du noir même, le néant.

Nous savons qu’il y a quelque chose après la mort. On ne sait pas quoi, mais c’est sûr que l’Autre Monde existe. C’est la raison même pour laquelle les dieux nous guident et nous ont aidés à fonder les huit Traditions.

Alors pourquoi suis-je nimbée par le néant ?

Quelque chose me turlupine depuis les quelques secondes — ou siècles — que je nage dans cette immensité de rien. Une silhouette, que je ne peux que deviner du coin de l’œil et qui disparaît dès que je me rends compte de sa présence.

Hum. Je sais déjà qui c’est en fait, mais je pense que le nie. Une part de moi s’accroche à la vie, je suppose. Ce doit être pour ça que je n’arrive pas à passer complètement de l’autre côté.

C’est ma Psychopompe. La Grande Maesteriana, la Psychopompe de l’Expressionnisme, ma chère tradition.

Au moment où son nom atteint ma conscience, se faufile entre mes lèvres et se perd dans l’immensité silencieuse du néant de ma presque-mort, je l’entends.

Une douce mélodie mêlant piano, célesta, violon et une poignée d’autres instruments que je n’ai jamais entendus de ma vie — et qui n’existent probablement pas dans la réalité matérielle — berce mes oreilles et apaise mon âme.

Puis je la vois. Elle est grande, majestueuse. Assise sur un tabouret de concert, jambes croisées. Ses dizaines de bras bleus et translucides jouent de la musique, mais aussi écrivent des pièces de théâtre, des romans, sculptent des statues dignes des artistes les plus talentueux de tous les temps et des ustensiles de bois d’une simplicité presque vulgaire.

Ses vêtements sont riches et amples, contenant des milliers de replis impossibles cachant les instruments de tous les arts et artisanats n’ayant jamais été inventés par les humains. Sa tête au teint de porcelaine dodeline pensivement, faisant virevolter son très long nez élégamment courbé. Sur son chef trône un galurin d’artiste irisé dans lequel sont plantées toutes sortes de plumes d’écriture.

Je la vois très nettement maintenant. Elle se tient juste devant moi, comme suspendue dans ce vide qu’elle remplit entièrement par sa présence seule.

Sans brusquerie, elle stoppe tous ses arts. Reste dans l’air une note suspendue.

« Et bien, très chère et très jeune fille, » m’accoste-t-elle de sa voix polyphonique. « Cela fait un bien grand temps que j’attends que tu te décides de quel côte du fin fil du destin tu allais faire un pas. »

Elle plisse les yeux dans un fin sourire charmeur. « N’aie pas peur. Je suis là pour t’accompagner vers l’endroit où tous les humains sont destinés à se rendre un jour. »

Elle range son violon dans les plis de son vêtement, et me tend sa main fantomatique. Mais à l’instant où je commence à tendre la mienne, elle a un petit mouvement de recul.

« Cependant, sache qu’il est toujours possible pour toi de faire marche arrière. Après tout, tu es encore jeune, et pleine de potentiel. Aussi, si ton désir est de répondre à l’appel de ceux qui t’aiment pour retourner vivre le reste de ta longévité matérielle, je ne m’en offusquerai pas. »

Je penche la tête sur le côté, confuse. « L’appel de ceux qui m’aiment ? »

Elle émet un petit rire discret. « Ou plutôt de celle qui t’aime. » Puis, une moue de tristesse apparut sur son visage de poupée. « Ne l’entends-tu pas ? »

Elle se tait, tournant son regard ailleurs, au-delà de l’immense vide qui nous entoure.

Après un instant de silence, je commence à entendre le son d’une voix familière au-dessous de la musique en suspens.

Je n’arrive pas à distinguer les mots, mais le ton est sans équivoque : la voix est teintée de tristesse, de fatalisme, mais aussi d’un maigre espoir. Et surtout, ce qui me crève les tympans est l’amour incommensurable qu’elle porte.

« C’est… Ma femme… » dis-je à voix basse.

La Grande Maesteriana m’offre son plus beau sourire. « Bien sûr que c’est elle. En doutais-tu ? Est-ce parce que tu ne parvenais pas à l’entendre qui tu t’es égarée sur cette immensité vagabonde entre la vie et la mort ? »

Un intense vague d’émotions confuses déborde en moi. Je sens les larmes me monter aux yeux.

« Depuis combien de temps suis-je ici ? »

Elle se frotte la joue de sa main libre. « Je ne sais pas. Le temps n’existe pas vraiment ici. Et moi-même suis intemporelle. »

Elle positionne un doigt sous mon menton pour monter mon regard à sa hauteur. « Mais est-ce que ça a la moindre importance ? Qu’il se soit écoulé une heure ou une décennie, tu sais maintenant que quelqu’un t’attend, portant en elle tout l’amour qu’il est possible d’accorder à autrui. »

Elle se lève, range tous ses instruments dans les innombrables plis de son vêtement — faisant par cela disparaître tous ses autres bras — avant de me tendre la main.

« Alors, ma très chère protégée, que décides-tu ? Est-il temps pour toi de rejoindre les dieux, ou de finir ta vie aux côtés de celle qui t’aime au point de t’interdire de mourir ? »

Son sourire malicieux indique qu’elle connaît déjà ma réponse. Au moment où je m’apprête à la formuler, la Grande Maesteriana, ma Psychopompe, celle censée me guider vers les dieux au moment de ma mort, disparaît dans les ombres du néant.

Ma vision se brouille, mais je parviens à entendre ses dernières paroles avant qu’elle ne disparaisse complètement de mon univers.

« À dans longtemps, j’espère.« 

Dans un sursaut, je prends une grande inspiration et ouvre les yeux.

11 – Malédiction divine

L’ovate est morte cette nuit. C’est ce que m’apprit ma mère au réveil.

Un grand désespoir me gagna, car l’ovate était notre seule chance de survie, et elle n’a laissé derrière elle aucun apprenti susceptible de prendre sa relève.

Je m’habillai sans un mot, en prenant mon temps. Ce qui était stupide, vu à quel point le temps nous manquait.

Au petit déjeuner, je n’avalai rien. Il n’y avait que du porridge à table, le village avait sacrifié toutes ses bêtes il y a bien longtemps. Ma mère non plus ne mangea pas. Elle fit mine de touiller son bol de porridge, pour m’enjoindre à avaler quelque chose, mais ne parvint pas à porter la cuillère à sa bouche.

« Tu vas travailler, aujourd’hui ? » me demanda-t-elle, l’air absent. Depuis la mort de papa, ce n’était plus la même femme, mais d’habitude, elle ne se perdait pas en paroles superficielles. Même face à la mort, c’était resté une femme directe, qui ne dissimulait ni ses émotions, ni ses pensées. Quelque chose clochait.

Je l’observai du coin de l’œil. Lorsqu’elle se leva pour débarrasser la table, je pus apercevoir un genre de tache sur son avant-bras, quand la manche longue de sa robe se retroussa légèrement.

« Maman ? » l’apostrophai-je. Elle s’arrêta dans son mouvement, le dos tourné.

« Je suis désolée. » me répondit-elle simplement.

Je me levai à mon tour. « Je peux voir ? »

Elle plaça une main sur sa manche, à l’endroit où se trouvait la tache. Elle hésita un instant, puis se retourna vers moi. Lentement, détournant le visage, elle retroussa sa manche complètement.

C’était une marque que nous ne connaissions que trop bien. Une auréole irrégulière noire, bordée d’un liseré brun. La marque était récente, elle ne saignait pas encore. Mais bientôt, elle allait s’étendre. Quand elle aura fait le tour de son avant-bras, celui-ci pourrirait et tomberait. D’autres marques apparaîtraient alors sur son corps à d’autres endroits, faisant pourrir tout son être peu à peu. Puis enfin, une ultime tache apparaîtrait sur son cou. Et quand elle se serait étendue…

Mon père, l’ovate et maintenant presque la moitié des villageois avaient déjà péri de ces marques. Sur les personnes restantes, la plupart en portait sur eux en ce moment, et ne ferait donc pas long feu. Nous n’étions qu’une poignée à être épargnés. Pour le moment.

Tout ça parce que nous avions attiré sur nous l’ire divin.

Nous portions la malédiction des dieux d’En-bas.


J’étais bûcheron, alors je bûchais. Ça pourrait sembler futile, comme le peu de survivants que nous étions avait déjà largement assez de bois pour se chauffer — et de toute façon notre village était condamné. Mais travailler m’aidait à oublier un peu le malheur qui s’était abattu sur nous.

Je levai la tête pour scruter la forêt. Tout cela était incompréhensible, nous vénérions avec ferveur Drohssa, la déesse qui siégeait dans la forêt éponyme. Il y avait un grand nombre de loups blancs qui y vivaient. De magnifiques animaux qu’on ne pouvait trouver que dans cette région. Nous ne les chassions pas, bien entendu, et les offrandes régulières que nous faisions à la déesse faisait qu’elle nous protégeait de leur menace.

Mais depuis quelques mois, les loups blancs se faisaient de plus en plus rares. La déesse répondait de moins en moins à nos invocations, jusqu’à ne plus répondre du tout. C’est alors que la malédiction des dieux d’En-bas s’était abattue sur nous.

Il avait dû se produire quelque chose de terrible, d’impardonnable au point que notre déesse se ferme à nous complètement et que les dieux d’En-bas s’en mêlent pour nous frapper d’une juste punition, car tel était leur rôle.

L’ovate de notre village était érudite, elle jouait son rôle à la perfection. Elle connaissait très bien les atouts de la déesse, savait interpréter ses messages et avait toujours su nous rectifier lorsque notre comportement lui déplaisait. Mais lorsque la marque apparut, elle se trouva impuissante. Et sa mort sonna notre glas, car plus personne n’était alors capable d’interpréter les signes divins.


Le surlendemain, j’appris avec tristesse que j’étais la dernière personne qui ne portait pas de marque. Tous les autres avaient subi la malédiction.

L’instituteur — qui était notre doyen et avait pris le rôle de chef après la mort de la bourgmestresse — vint frapper à notre porte pour me confier une ultime tâche.

« Tu va devoir porter le dernier espoir de notre village. » l’écoutai-je en l’installant dans un fauteuil en rotin. « Il faut que tu joignes la ville et que tu préviennes le baron. »

Je fronçais les sourcils. « Il n’est pas déjà au courant de la malédiction ? »

Il hocha sensiblement la tête. « Plus ou moins. Nous avions déjà envoyé un messager pour le prévenir de notre état, mais il n’a rien fait. J’ai beaucoup réfléchi à ça depuis, et je pense avoir une idée pour le convaincre. Mais toi seul peu aller à sa rencontre. Si nous nous pointons dans sa demeure avec des marques, il nous traitera comme des pestiférés. »

Je hochais la tête. « Je vois. Et qu’est-ce que je dois lui demander ? »

Il soupira. « De nous envoyer ses meilleurs ovates. Ils ne connaîtront pas Drohssa aussi bien que feu la nôtre, mais certains d’entre eux sont très compétents et ont beaucoup d’expérience. Et en tant que tels, j’ose espérer qu’ils accepteront de venir à notre secours. Qui sait ? Peut-être qu’un regard neuf permettra de démêler la situation ? »

Je gardai le silence un instant, avant de lui répondre. « D’accord. Je le ferai. »

Il soupira de soulagement. « Merci. Pars le plus tôt possible, s’il te plaît. Certains d’entre nous n’en n’ont plus pour très longtemps. » Son ton et sa gestuelle indiquaient qu’il ne faisait pas allusion à lui-même. Il effleura avec une tristesse sobre la marque qui ornait son cou.

« Je fais mon sac et je pars aussitôt. »

Une fois que l’instituteur prit congé, ma mère me rejoignit au salon.

« J’ai entendu ce qu’il a dit. Tu sais… » Elle prit une grande inspiration. « Tu n’es pas obligé de revenir. »

Je levai un sourcil interrogateur. Elle reprit. « Tu es encore jeune, et tu es le seul qui n’a pas été maudit. Saisis cette chance et enfui toi d’ici. Va vivre ta vie ailleurs. »

Ses yeux étaient embués du désespoir de la mère qui ne voulait pas que son enfant meurt. Je pris sa main dans la mienne. « Ne t’en fais pas, maman, je ferai tout pour vous sauver… »


Une heure plus tard, mon sac était prêt. J’enlaçai ma mère, qui me promit que quoi qu’il arrive, elle serait fière de moi. Je lui dis au revoir, et elle me dit adieu. Ce fut la gorge serrée que je quittai mon village dans la brume tombante de la mi-journée.

La route menant jusqu’à la ville longeait la forêt. Approchant de l’endroit où elle se détachait de la lisière pour filer à travers les champs, je distinguai une silhouette immobile au milieu de la voie.

C’était un animal. Un grand loup, dont le garrot m’arrivait au-dessus des hanches. Son pelage était blanc comme neige, avec deux longues stries orangées dans son pelage, partant de son cou jusqu’à sa croupe.

Et il me fixait.

Nous restâmes ainsi immobiles pendant de longues minutes, à environ cinquante pas de distance. Lui me dévisageant, moi trop effrayé pour bouger.

Il finit par lentement s’éloigner de la route, en direction de la forêt, sans me quitter des yeux. Puis d’un bond véloce, il se détourna de moi et disparut entre les arbres.

Était-ce un avertissement ? Peu importait, il fallait que je continue ma route.


Quand j’atteins les portes de la ville, le soleil s’était déjà couché depuis un petit moment. Je ressentis un grand soulagement. Une pointe d’espoir.

Je me mis à déambuler en ville, vaquant de quartier en quartier, aux aguets. Quand un homme louche finit par me demander ce que je cherchais, je lui répondis simplement, d’un air entendu, « un acheteur ».

Je fus conduit dans l’arrière-boutique d’une taverne mal famée, où une femme âgée au rictus mauvais m’attendait.

« Que puis-je faire pour toi, petit paysan ? »

Sans prononcer un mot, j’ouvris mon sac et sortis la marchandise. Les yeux de la vieille brillaient.

« Grands dieux ! On m’avait parlé de cette fameuse fourrure, mais la voir en vrai ! » Elle plongea sa main dans les fourrures blanches comme neige. « et il y en a beaucoup en plus ! Jeune homme, tu viens de devenir un homme riche ! »

Je haussais les épaules. « Je me dois de vous dire, je n’ai pas pu toutes les sécher correctement, et certaines sont assez vieilles, donc désolé pour la qualité variable. »

Elle balaya mon excuse de la main. « Ce n’est pas grave. C’est tellement rare que je te ferai quand même un bon prix. »


Au petit matin, je quittai la ville avec une bourse bien lourde. Largement de quoi me refaire une confortable ailleurs et de tenir dix ou vingt ans sans avoir à travailler.

Avant de prendre la route, je me tournai une dernière fois vers l’horizon où on pouvait deviner l’orée de Drohssa. Je restai ainsi un instant, puis me détournai et partis.


Après une petite demi-heure de marche, une silhouette familière surgit au milieu de la route. Le grand loup blanc aux marques orange. Il me fixait, comme la veille, mais j’entrevoyais cette fois une certaine hauteur dans son regard.

C’était sans doute parce que cette fois-ci, il ne resta pas immobile bien longtemps. Il s’avança vers moi. Lentement au début, il se mit à accélérer jusqu’au galop.

Je ne pus pas bouger. J’étais de nouveau pétrifié. Et de toute manière, à quoi bon essayer de fuir ? Jamais je ne courrai plus vite qu’un loup.

J’acceptai donc mon sort, ma punition à moi.

Quand le canidé fondit, gueule ouverte, sur ma gorge, ma dernière pensée fut pleine de remords.

Désolé, maman.

10 – Ruse sournoise

En l’an 1267 du Premier Âge — 18ème année de la Guerre Triangulaire

« Des fusardiers ! Des saloperies de fusardiers ! »

Je hurlais de rage, moins à l’encontre de ma partenaire que de désespoir. Les projectiles sifflaient au-dessus de nous, du son caractéristique des balles de fusard autopropulsées par de la poudre grise.

Au fur et à mesure que les balles explosaient sur la muraille en dessous de notre poste de tir et derrière nous sur les bâtiments de la cité, l’air se saturait d’un produit toxique dont nous n’étions même pas capables de deviner la nature.

Alors que j’entendais le peloton d’infanterie gardant la grande porte commencer à tousser en contrebas, je pointai mon nez au-dessus de la balustrade pour tenter de discerner les troupes ennemies.

« Alors, c’est qui ? » me demanda ma partenaire, « ne me dis pas qu’ils nous ont envoyé l’Escadron des Mantes ? »

Je rabattis ma tête rapidement pour ne pas me prendre une balle. « J’en n’ai pas l’impression. Il n’y a pas d’étendard alchimiste là-bas, que des shamans. »

Je soufflai tout en tentant de rencorder mon arc. « Depuis quand les shamans ont des fusards ? »

Ma partenaire, dont la brigandine avait pris un sale coup lors de l’assaut soudain de l’ennemi, ôta son casque, le visage plissé dans une moue pensive.

« Attends, c’est pas normal. Je ne pense pas qu’ils cherchent à prendre la cité. »

Ayant enfin réussi à encorder mon arc malgré l’espace minuscule dont nous disposions sur notre poste de tir, je la dévisageai d’un air incrédule. « Comment ça ? »

« Réfléchis ! S’ils voulaient abattre les murs, ils utiliseraient des sorts bien plus destructeurs dans leurs munitions. Clairement, ils ont conçu un sort spécial et monté un escadron de fusardiers dans un but très spécifique… Il y a quelque chose qui cloche ! »

Les vapeurs toxiques commençaient à s’intensifier autour de nous. Ma gorge commençait à piquer et les soldats en bas toussaient de plus en plus fort. Heureusement pour nous, les vapeurs étaient lourdes et restaient près du sol, loin de notre poste en hauteur.

« Ils cherchent peut-être à nous tuer avec ces vapeurs, pour ne pas risquer d’endommager les bâtiments, » suggérai-je. « C’était leur cité, avant, non ? » Ma partenaire n’avait pas l’air convaincue. « Ou alors, ils veulent nous forcer à faire une sortie pour nous attirer dans un piège… »

Elle hocha la tête. « C’est possible. Mais dans ce cas, il faudrait savoir dans quel genre de piège. » Elle remit son casque. « Bouge pas, je vais essayer de voir. »

Elle se lança un sort que je connaissais très bien, qui lui améliorait considérablement la vue et qui lui permettait d’ordinaire de repérer les cibles qu’il me fallait ensuite abattre.

Au moment même où elle émergea au-dessus de la balustrade, une balle ricocha sur son calot de cuir sans pour autant exploser. Loin de la décourager, elle scruta les rangs ennemis avec sa vision grossissante.

« Là ! Il y a un genre de gros chariot étrange… »

Elle continua d’observer pendant plusieurs longues minutes, alors même que le feu nourri de l’ennemi commençait à réduire.

« Oh… Je vois… »

Elle se rassit à mes côtés. Quand je lui lançai un regard interrogateur, elle se contenta de m’ordonner : « Va chercher un mage capable de lancer un puissant sort de protection. Moi, je vais prévenir le commandant. »


Une demi-heure plus tard, nous étions revenues à notre poste de tir en hauteur. Les tirs de fusard avaient cessé, et l’armée ennemie était postée à la limite de la portée de nos archers.

La cité entière était tapissée de cet épais nuage toxique. Il n’avait pas l’air mortel, mais quiconque n’avait pas appliqué un linge humique sur son visage était incapable de faire quoi que ce soit, toussant jusqu’à cracher ses poumons.

Devant la pression exercée par la situation, notre infanterie s’était tassée sur le pont reliant la grande porte à l’extérieur, prête à faire une sortie malgré le danger imminent dont nous l’avions prévenue. Fort heureusement, nous pûmes apercevoir l’archimage que ma partenaire m’avait demandé de trouver.

Cette dernière était debout, son sort de nouveau actif, et me donnait des indications qui me permettraient d’effectuer des tirs si besoin. J’encochai une flèche.

En contrebas, un ordre fut lancé, et j’entendis le pas sourd de notre infanterie lourde qui s’ébranla vers l’ennemi.

Dans l’instant de silence tendu qui s’ensuivit, je me crispais sur l’encoche de mon arme.

« Maintenant ! » ma partenaire rugit. Je visai le ciel, et tirai ma flèche sifflante dans les airs.

Sans perdre une seconde, je saisis une autre flèche et me hissai au-dessus de la balustrade de notre poste de tir. C’était exactement comme nous l’avions prévu. Le chariot étrange que l’ennemi trimbalait en première ligne était leur réserve de liquide infusé du sort de vapeur toxique, celui-là même qu’ils mettaient dans leurs balles de fusard. Après avoir attendu que notre armée fasse une sortie, ils renversèrent les centaines de litres de liquide sur le sol, déclenchant toute la magie y étant infusée. Ils avaient le vent dans le dos, notre armée n’avait aucune chance…

Sauf que ma flèche sifflante avait servi à alerter notre archimage, qui lança alors un puissant sort de protection, faisant apparaître un mur de vent entre les deux armées. La vapeur toxique roula sur elle-même, incapable de passer, et commença à s’étaler parmi les troupes ennemies.

Aussi vite que je le pus, j’allumai ma seconde flèche à l’aide de la torche dont tous les postes de tir étaient équipés, et la décochai.

J’étais une tireuse d’élite, la meilleure de mon bataillon, et la flèche suivit une trajectoire en cloche parfaite, passant juste au-dessus du mur de vent pour s’abattre au cœur du nuage toxique.

L’explosion qui s’ensuivit fit trembler le champ de bataille, et pendant un instant je cru que notre poste de tir allait s’écrouler.

Un ordre fut braillé, le mur de vent tomba, et notre infanterie fondit sur l’ennemi.

Je chus sur les fesses, exténuée par la pression. J’aurais dû garder mon poste et soutenir notre armée, mais bien que la bataille n’était pas finie, elle était déjà gagnée.

Ma partenaire s’écroula à côté de moi, dans le même état.

Nous avions réussi. Nous avions retourné le piège de nos ennemis contre eux.

Nous avions sauvé la cité.

9 – Protecteur fidèle

En l’an 719 du Deuxième Âge

Tout avait été planifié. Millimétré, sans bavure. Alors comment est-ce que ça avait pu dégénérer ainsi ?

L’objectif était simple : renverser le gouvernement. Le plan était clair : s’infiltrer dans le palais de la duchesse, monter jusqu’à son bureau au dernier étage, subtiliser les documents prouvant son implication dans un trafic d’explosifs, mettre le feu à son palais, et sortir. L’incendie devait être déclenché par des camarades, tandis que l’infiltration et le vol de documents devait être commis par moi-même. Seule.

Seulement, Sanii avait insisté pour m’accompagner. Ce n’était pas surprenant, elle était à mes côtés depuis des années, bien avant même qu’on envisage de renverser la tyrannie ducale. Elle prétextait que ça allait être dangereux, qu’on ne pouvait pas être sûres que la duchesse n’avait pas laissé quelques miliciens pour garder son palais. Elle avait tellement insisté que j’avais fini par accepter.

Le début du plan s’était déroulé sans encombre. Nous nous étions faufilées par la lucarne de la cave à vin qui avait été laissée ouverte par un serviteur sympathisant. Sanii avait cependant eu un peu de mal, avec sa carrure démesurée et son guardard — un grand pavois de métal pourvu d’une pique à son extrémité. Je me sentais néanmoins rassurée de sa présence, je savais que je pouvais compter sur elle en toute circonstance et qu’elle ne me ralentirait pas.

Malgré la maigreur du repérage que nos camarades avaient fait, nous pûmes naviguer sans problème à travers le tortueux édifice, ne croisant ni serviteur, ni milicien. Nous gravîmes les nombreux escaliers menant aux appartements privés de la duchesse et et parvînmes à son bureau.

Le timing était serré. Nous entendîmes des clameurs venant de l’extérieur, nous indiquant que l’incendie avait déjà pris. Il fallait faire vite. Sanii fit le guet à l’entrée de la pièce pendant que je dévalisais les meubles à la recherche des fameux documents.

Je les trouvai enfin, au moment où le bâtiment entier fut secoué par une terrible explosion. Puis une seconde.

Les explosifs ! Nous n’avions jamais pu trouver l’endroit où les explosifs de contrebande étaient stockés, et pour cause : ils étaient ici ! Dans son propre palais ! L’incendie avait dû les déclencher. Si c’était bien le cas, il y aurait sans doute d’autres explosions à venir. Nous devions sortir d’ici au plus vite.

La température monta de plusieurs degrés en l’espace de quelques secondes, et Sanii me supplia de me dépêcher. On pouvait déjà voir la lueur des flammes en bas des escaliers.

Suivant le plan à la lettre, je fourrai les documents dans une serviette de cuir que je lâchai à travers la fenêtre du bureau, où un camarade judicieusement positionné en bas put les récupérer avant de déguerpir. Au même moment, Sanii lança un sort de Création pour générer une bulle d’air persistante autour de nos deux visages comme le plafond se couvrait de fumée noire.

Alors que je me ruais vers la sortie de la pièce, une troisième explosion secoua les murs, plus terrible encore que les précédentes.

Un craquement sinistre me fit lever les yeux au plafond, et je constatai avec horreur qu’une poutre s’était arrachée de la structure pour se précipiter sur moi. Je fis un bond sur le côté pour ne pas finir écrasée, mais je ne fus pas assez rapide et elle s’abattit sur ma jambe.

Sur le moment, je ne ressentis aucune douleur. Mais la pulpe de chair qui constituait désormais ma jambe en dessous du genou suffit à m’indiquer que je n’étais pas indemne, loin de là.

Je tentai de m’extirper, mais les résidus de tissus et de tendons qui étaient autrefois ma jambe et qui étaient toujours solidement attachés à mon genou étaient coincés sous la pesante poutre.

Réalisant ma fatale situation, je me tournai vers Sanii qui était déjà en train de se précipiter sur moi pour m’aider.

Elle tenta de soulever la poutre, mais celle-ci s’était encastrée dans le mur et il était impossible de la soulever ou de la faire glisser. Elle essaya alors d’arracher les chairs qui me bloquaient, mais ne parvint qu’à m’arracher de longs hurlements de douleur.

C’était certain, à présent : j’étais condamnée. Je ne pourrais jamais sortir d’ici avant que tout ne s’effondre.

Pars, Sanii ! Tentai-je de crier. Sauve-toi ! Mais à cause du vacarme de l’incendie et du palais sur le point de s’écrouler, je n’entendais même pas ma propre voix.

Je la tirai par l’épaule et lui fis signe de partir. Elle se leva, regarda autour d’elle, plongea ses yeux dans les miens, et me fit ‘non’ de la tête.

Le sort de bulles d’air s’estompait peu à peu et nos poumons commencèrent à se tapisser de suie au fil de nos respirations. Alors que les flammes gravissaient l’escalier, barrant l’ultime chance pour Sanii de s’enfuir, elle m’enlaça de ses bras épais. Je tentai de me débattre, frappant, toussant, mais elle ne bougea pas d’un pouce. Elle se positionna au-dessus de moi, me couvrant complètement, comme pour me protéger une dernière fois, faire barrage de son corps et me donner une infime chance d’en réchapper.

Alors que je me débattais de rage et de tristesse, elle passa sa main gantée dans mes cheveux en susurrant ses dernières paroles à mon oreille.

« Ça va aller. Je suis là. »

8 – À l’origine du monde

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En l’an 256 du Troisième Âge

Juste un caillou.

C’était juste un caillou que je tenais dans ma main. Pour n’importe qui d’autre, c’était un bout de caillasse qui ne valait même pas la peine qu’on lui donne un coup de pied dedans, mais pour moi, c’était bien plus.

Je tournai la tête vers le mur de mon bureau sur lequel j’affichais depuis quelques mois le plus grand exploit de ma carrière. L’article scientifique que j’avais publié, les unes de journal qui avait relayé mon exploit, et même un encadré de la calligraphie décrivant le sort que j’avais inventé, qui m’avait été offert par mon petit frère.

J’avais révolutionné la paléontologie une fois déjà, en concevant un sort qui permettait de dater précisément n’importe quel artefact archéologique. Bien sûr, il avait des défauts. Par exemple, il ne fonctionnait que sur des échantillons relativement entiers, sinon le sort ne datait que le moment où il avait été brisé. Mais c’était déjà une révolution en soi.

Je pensais qu’il faudrait attendre encore bien après ma mort pour qu’une autre révolution de ce genre ait lieu, mais je me trompais.

Je tenais dans mes mains le plus vieil échantillon archéologique jamais daté, remontant à 4192 ans avant le début de notre calendrier. Le plus important n’était pas cette date en soi, mais le fait qu’elle corroborait une théorie qui existait depuis le Premier Âge, et qui établissait la création du monde sur une base para-scientifique de numérologie. Cette théorie avait toujours été étudiée de près, car aujourd’hui, on savait que les para-sciences avaient des bases fonctionnelles — même si elles tenaient plus de la théologie qu’autre chose.

Le fait qu’une théorie para-scientifique fût corroborée par de la science dure était toujours une preuve que la théorie, même si elle semblait a priori fumeuse, avait une part de vérité.

Sauf que là, en termes de numérologie, il n’y avait pas d’à peu près possible. Les nombres correspondaient, il n’y avait absolument aucun doute.

Je venais de dater la création du monde.


« Professeure, comment est-ce que les numérologues du Premier Âge ont pu théoriser la date de la création du monde avant même de savoir quand la fin du monde aura lieu ? »

Nous étions dans le bureau de la doyenne d’anthropologie de l’Université d’Oasis, une semaine après l’invention de mon fameux sort. Il y avait également le doyen de paléontologie, mon supérieur hiérarchique, ainsi que trois consultants étrangers qui restaient en retrait et dont j’avais oublié le nom.

Nous nous étions réunis ici après une conférence que j’avais donnée pour présenter mes résultats et qui avait suscité le déplacement d’éminents scientifiques du pays. Après la fin de la conférence, la doyenne d’archéologie, qui était restée silencieuse pendant toute la présentation, était venue me voir pour parler justement de numérologie.

« Et bien, » me répondit la professeure, « Ils n’ont pas à proprement parler théorisé de date exacte, mais selon leur interprétation de ce qu’ils savaient, la durée de vie totale du monde était une puissance de huit, ou le double d’une puissance de huit. »

Mon chef se redressa sur mon siège. « Pourquoi huit ? Ils avaient des éléments pour penser spécifiquement à huit ? »

La professeure se leva et se dirigea vers la fenêtre à grand carreau qui illuminait son bureau, et où on pouvait admirer le soleil couchant teinter de rose le ciel de l’impétueux désert qui entourait la ville.

« Et bien, pour commencer, le nombre de Psychopompes. Les huit traditions fondées par les dieux et dirigées par les Psychopompes est le premier marqueur de l’importance pour les dieux du nombre huit. »

Mon chef et moi commençâmes à interjeter ensemble, mais il me laissa parler. « Oui, mais il y a neuf traditions. Même si la neuvième n’a pas de Psychopompe, au total il y en a bien neuf. Et il y a six valeurs fondatrices transmises par les dieux, celles-là mêmes dont la combinaison a donné les huit traditions… Ça semble précaire, comme argument. »

La professeure hocha la tête sans quitter le paysage des yeux.

« Certes, mais d’un point de vue symbolique, c’est le résultat qui est à prendre en compte, pas la cause. Et la neuvième tradition peut être exclue étant donné qu’elle est centrée autour de l’humain, pas des valeurs fondatrices. » Elle se tourna vers moi. « D’ailleurs, ne dit-on pas en théologie qu’il y a ‘huit plus une’ traditions ? »

Je restais incrédule. « Et c’est la seule chose sur laquelle sont basés les numérologues pour établir la durée de la vie du monde ? »

Elle secoua la tête. « Non. Ce qui a renforcé cette conviction, c’est que le nombre huit est présent partout dans la création divine : les huit couleurs de la Rose, qui est le symbole de notre monde —qui en tire d’ailleurs son nom, Rosarya—, les huit aspects de la matière et du vivant —solide, liquide, gazeux, inerte, vivant, les transformations, l’animal et la conscience—, etc. Je ne vais pas vous faire toute la liste, mais ce que les dieux créent, en théologie, est très souvent accompagné du nombre huit. »

Mon chef leva ses lunettes et se pinça l’arrête du nez. « Et on est sûr que ce n’est pas un biais d’interprétation ? »

La professeure haussa les épaules. « C’est ce qu’on étudie depuis des siècles. Mais vous connaissez les para-sciences : tout comme le tarot ou l’astrologie, bien qu’elles soient très réelles et concrètes, dès qu’on essaye de les étudier avec méthode, on tombe sur une grande quantité de données interprétatives… »

Elle retourna s’asseoir à son bureau.

« Tout ce que je voulais vous dire, c’est de garder un œil sur cette théorie. Ce n’est pas un angle d’étude en soi, mais si vous trouvez des résultats qui la valide, d’une manière ou d’une autre, ça veut dire qu’elle a une grande part de réel. »

Nous restâmes tous muets un moment, plongés dans les implications que venait de soulever notre échange.

Puis, je fis le lien dans mon esprit. « Attendez… Depuis la Grande Quête annoncée par les dieux il y a deux siècles, on connaît la date de la fin du monde. C’est le dernier jour de l’année 4000 du calendrier divin. Cela veut dire, que selon les numérologues, le monde a été créé… »

Je fis une série de calculs dans ma tête pour essayer de déterminer quelle puissance de huit conviendrait le mieux. On avait déjà trouvé des artefacts archéologiques datant de la préhistoire et vieux de plusieurs siècles avant le début de notre calendrier. Donc quatre mille quatre-vingt-seize était trop court. Peut-être le double, comme elle disait ? Ce qui nous amènerait à…

« Quatre mille cent quatre-vingt-douze ans avant le début du calendrier divin, » finit à ma place la professeure. « Pour une durée totale de huit mille cent quatre-vingt-douze années d’existence. Soit huit puissance quatre, fois deux. C’est actuellement la théorie la plus consensuelle dans le milieu. »

Je baissai les yeux sur mes genoux. 8192 années d’existence pour notre monde. 4192 ans avant l’Ère des Humains. 7665 ans avant notre ère. Si c’était vrai, notre monde avait déjà vécu quatre-vingt-quatorze pourcent de son existence.

Je dus m’agripper à mon siège pour ne pas céder au vertige que cela avait induit en moi.


Je reposais le caillou sur ma table de travail. Je venais de confirmer la théorie des numérologues. Je venais de dater l’âge du monde. Je venais de confirmer la raison pour laquelle on n’avait jamais trouvé de fossile vieux de plus de huit mille ans.

Que devais-je faire ? Annoncer ma découverte ? Garder le secret ? Attendre de confirmer mes résultats, tout en sachant que ça prendrait des années, des décennies ?

Je me levai et allai ouvrir la fenêtre. L’air glacé de la nuit désertique me griffa le visage. Je pris une grande inspiration, ce qui me fit un bien fou.

Il fallait que je me change les idées.

Je sortis du bâtiment et commençai à errer dans le campement archéologique du site de fouilles sur lequel je travaillais. Enfin, « campement » était un bien piètre euphémisme quand on voyait la ville que c’était devenu au fil du temps. Dès le milieu du Deuxième Âge, quelques décennies à peine après qu’on a découvert que ce lieu perdu dans le désert de Kayis nichait une quantité dantesque de vestiges préhistoriques, on avait commencé à ériger des bâtiments en dur. Plusieurs siècles plus tard, avec les techniques d’extractions modernes, le site n’était toujours pas épuisé de ses merveilles paléontologiques et le campement devenu village s’était en mu une véritable ville, avec son auberge, ses champs de cactus, de dattiers et de cormiers, et même un hôtel de ville pour accueillir la direction d’un baron nommé spécialement pour gérer la population locale.

Je finis par atteindre le seuil du site de fouilles, dont l’accès était barré par un simple parapet de pierre blanche. Je plongeai mon regard dans la vaste vacuité du trou creusé des siècles auparavant, tentant de faire le point sur cette découverte.

La seule question qui comptait, en réalité, était : quels en sont les enjeux ? Est-ce que ça va faire trembler tous les théologiens du monde, ou est-ce que ça ne deviendra qu’une ligne de plus dans les manuels scolaires ?

Et ce fut à ce moment précis, en entendant le vent sifflant faire monter un écho sombre depuis le gouffre, que je me rendis compte : ce n’était pas mon problème. Il n’y avait aucune barrière ontologique qui me retenait de publier mes résultats, car ce n’étaient que des faits. Objectifs, vérifiables, avec une pointe de sel concernant la méthode et la reproductibilité.

Ça avait été presque par hasard que j’avais inventé ce sort de datation, qui relevait plus d’une magouille technique liée aux cercles de magie que j’utilisais que d’un véritable effet de sort. C’était par chance que le caillou sur lequel j’avais décidé de m’exercer à lancer ce sort était resté intact depuis la création du monde. Il ne fallait pas que je laisse passer une telle chance. Il faudrait peut-être des décennies de plus pour confirmer méthodiquement ce résultat, alors autant le publier le plus tôt possible.

Je levai les yeux au ciel. Il n’y avait aucun nuage, Mina, la lune nocturne, avait entamé sa descente vers l’horizon. Au loin, une teinte rosée commençait à naître par-delà les dunes. Auba, la lune du matin, n’allait pas tarder à surgir, précédant le Soleil de trois heures exactement.

Je décidai de rester un peu dans l’atmosphère bleutée de la nuit, malgré le froid qui commençait à me mordre sous mes vêtements. J’avais besoin d’une pause. Dès que Auba serait visible, je retournerais dans mon bureau pour rédiger l’article détaillant ma découverte.

Celle datant la création du monde.

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